Chapitre 1 : L'énigme du Sphinx
- Va donc faire tes devoirs, dit Emma à son frère.
- Mes devoirs ! Je n’ai que du français, et c’est d’un ennui ! répondit Guillaume.
Allongé dans l’herbe, de mauvaise humeur, Guillaume ne voulait rien faire. Sa sœur lisait un livre.
- Oh, tu m’énerve à la fin, s’emporta-t-elle. Je rentre. Tu as vraiment le chic pour gâcher une belle journée !
Se retrouvant seul, Guillaume soupira. C’était une belle après-midi, certes ! Mais rester là à ne rien faire n’avait rien d’amusant. Perdu dans ses sombres pensées, bercé par le chant des oiseaux qui, eux, profitaient bien de la douce chaleur estivale que procurait le soleil, il commença à somnoler.
Son repos ne dura pas longtemps. Il crut bientôt la nuit tombée ; le soleil avait disparu. Le garçon ouvrit les yeux. Un animal, ressemblant vaguement à une grosse souris, était perché sur sa poitrine et le regardait de ses gros yeux. Guillaume se releva. Apeurée, la bestiole partit en courant.
- ‘s’cours, ‘s’cours ! ‘vont m’attaper ! N’ai peur, veut pas mou’ir !
- Attends-moi, dit le garçon, partant à sa suite. Qui es-tu ? Et de qui as-tu peur ? Il n’y a personne ici.
Le rongeur ne ralentit pas, mais répétait les mêmes mots :
- N’ai peur, ‘vont m’attaper !
Soudain, il disparut. Guillaume regarda autour de lui. Il était sorti du jardin, et n’était pas sûr de connaître le chemin du retour. Il se mit donc à marcher, sans savoir s’il s’éloignait ou se rapprochait de sa maison. Il lui fallut bien une heure pour retrouver un chemin. Pour ce que ça l’avançait ! Comment savoir dans quel sens l’emprunter ? Par chance, il aperçut la bestiole. Le bon sens aurait voulu qu’il parte à l’opposé pour s’en retourner chez lui. Mais poussé par sa curiosité, il se remit à courir derrière le fuyard. Ce dernier n’allait pas bien vite, aussi Guillaume n’eu-t-il aucun mal à le rattraper. Alors qu’il allait l’apostropher, il fit un bond en arrière. Le petit animal venait de sauter au-dessus du corps d’un Lion ! Le garçon poussa un cri. Des ailes de plumes blanches étaient repliées sur ses côtes, et une superbe crinière orangée oréolait sa tête d'un jaune d'or. L’une de ses paupières se souleva, puis il émergea totalement du sommeil dans lequel il était plongé.
- Humain, tu m’as réveillé !
- Oh ! Euh, je suis sincèrement désolé, je ne voulais pas vous déranger.
- Tu ne voulais pas ! Mais il est trop tard, tu l’as fait, et maintenant il va falloir payer, répliqua l’imposante créature.
- Moi ? Et pourquoi pas la souris ?
Le Lion tourna la tête et vit la bestiole qui disparaissait, au loin.
- Ce n’est pas une souris, c’est un Lemming.
- Un quoi ?
- Un Lemming. Petit rongeur de l’Eurasie septentrionale, voisin du campagnol, il pullule tous les deux à quatre ans et effectue alors des migrations massives vers le Sud. Mais celui-ci ne m’a pas réveillé. Maintenant, écoute attentivement l’énigme du Sphinx. Si tu en trouves la solution, tu pourras passer. Sinon, tu périras.
- L’énigme du Sphinx ? Mais je la connais ! J’ai étudié Oedipe Roi, l’année dernière. Voyons, que je me rappelles ... C’est l’homme, n’est-ce pas ? L’homme qui à l’aube, marche à quatre pattes, puis se redresse et, au crépuscule, utilise une canne !
- Quel ramassis d’inepties ! Mon énigme n’est pas aussi facile. Ecoutes-moi bien.
« Boris et Marina veulent chacun s’acheter une glace. Mais à Marina il manque deux kopeks, et à Boris il en manque vingt-quatre. Ils décident alors de mettre leur argent en commun pour ne s’acheter qu’une seule glace. Malheureusement, ils n’ont toujours pas assez. Quel est le prix d’une glace ? »- Mais je ne sais pas ce qu’est un kopek ! se plaignit Guillaume.
- Je ne devrais pas t’aider. Mais comme de toute façon, tu ne trouveras pas la solution, je peux me permettre de te dire cela : le kopek est une unité de monnaie russe, la plus petite unité pour être précis.
- Il n’y a pas assez d’informations, affirma le garçon.
- Il y en a assez, rétorqua le Lion. Et si malgré tout tu ne trouves pas, tu n’auras qu’à t’en prendre à toi-même. Alors, réfléchit bien avant de me donner la réponse, tu n’as pas le droit à l’erreur.
- Bon, alors, commença le garçon à haute voix, il manque à Marina deux kopeks. Et même avec l’argent de Boris, il en manque. Donc Boris a moins de deux kopeks. C’est tout ce qu’on peut savoir : il y a une infinité de solutions !
- Il y a deux solutions, pas une de plus. Tu dois les trouver toutes les deux pour avoir la vie sauve.
- Deux solutions ? Mais des nombres inférieurs à deux, il y en a plein si on compte les nombres décimaux. Les nombres décimaux ! Bien sûr ... le kopek est la plus petite unité, donc il n’y a que des nombres entiers ... Et si Boris en a moins de deux, c’est qu’il n’a qu’un kopek ! Il lui en manque vingt-quatre, donc une glace coûte vingt-cinq kopeks.
- Il y a deux solutions, répéta le Sphinx. Trouves l’autre, ou tu périras.
La menace fit fondre l’enthousiasme de Guillaume. Il devait y avoir une astuce ... mais où ? Peut-être Boris pouvait-il avoir plus que deux ? Non, c’était un fait certain. Un nombre inférieur à deux, alors ... il y avait un, mais quoi d’autre ? Zéro, bien sûr ! Boris pouvait-il n’avoir pas d’argent ? Cela semblait ridicule, mais après tout pourquoi pas ...
- Une glace peut coûter vingt-quatre ou vingt-cinq kopeks, affirma le garçon.
Le Sphinx eu un moment d’hésitation. Etait-ce possible ? L’enfant avait-il trouvé ? Finalement, son expression féroce laissa la place à un grand sourire.
- Bravo, tu as trouvé ! Tu peux passer. Mais surtout, je suis libre ! J’étais condamné à ôter la vie des passants, jusqu’à ce que quelqu’un résolve l’énigme. Je peux de nouveau gambader librement. Accepterais-tu que je t’accompagne ?
- Euh, oui, je voudrais rattraper le Lemming qui est parti par là, répondit Guillaume avec une pointe d’angoisse.
- Il est trop tard pour se remettre à courir. Mais allons-y, peut-être le rencontrerons-nous s’il s’arrête quelque part.
Guillaume se remit donc en route, sur le conseil du Lion qui ayant quelque peu diminuer de taille, voletait à son côté.